A propos de Black Mirror – Bandersnatch

En ce moment, il s’agit de l’événement en terme de série, l’émergence d’une expérience interactive proposée dans le cadre du lancement de la dernière saison de la série Netflix « Black Mirror ». L’interactivité demeure un mot clé excitant et convoque avec lui nombre de promesses. Au final, que nous révèle cette forme d’interactivité renouvelée ?

Commençons tout d’abord par le synopsis de cet épisode-film (durée : 1h30) exceptionnel :

« En 1984, un jeune programmeur adapte un roman fantastique, Bandersnatch, pour en faire un jeu vidéo et se prend à douter de la réalité. L’histoire tentaculaire devient un labyrinthe hallucinant… »

« Au cours de cette expérience qui vous demandera parfois de faire quelques entorses à la morale, vous seul serez responsable de la suite des événements, précise le communiqué de presse. Vous devrez faire des choix, surmonter des obstacles, faire face à des dangers et comme souvent dans la vie (et dans Black Mirror), en assumer les conséquences. »

Black Mirror : Bandersnatch | Bande-annonce

Tout l’intérêt du dispositif réside ainsi dans la succession de choix que va devoir opérer le public pour mener cette histoire au coeur d’un univers aussi tourmenté qu’est celui de Black Mirror.

De prime abord, les interactions proposées sont d’aspect assez simpliste (en tous cas dans leur formulation). Deux choix, proposés à l’écran avec des incidences directes et surtout indirectes tout en étant décalées dans le temps.

Voici comment se présentent les choix proposés au sein de cet épisode spécial.

Et c’est un premier écueil qu’il faut bien considérer lorsque l’on regarde cet épisode. Les choix peuvent paraître simple mais la mécanique narrative induite derrière cela est considérable. Il faut savoir que la trame narrative a été élaboré via un outil qui permet de créer des arcs narratifs et des histoires non linéaires appelé Twine. Ainsi, de l’aveux même des créateurs de cet épisode, cet opus interactif a demandé en terme de travail l’équivalent du travail habituellement déployé pour quatre épisodes, de manière à pouvoir faire boucler tous les arcs narratifs et proposer une expérience totale.

De fait, il paraissait peu probable dès l’origine que l’intensité du scénario et la complexité de son déroulé et son dénouement soient à la hauteur des épisodes traditionnellement proposés par la série. Le challenge aurait été beaucoup trop important à relever. Ici, c’est une sorte de fascination qui tient le public en haleine au cÅ“ur d’une série dont le questionnement de notre rapport aux écrans et à la technologie est à la base de tous les épisodes. On se trouve d’un certaine façon intégré à l’essence même de ce qu’est Black Mirror.

L’effet produit est assez addictif même si 1h30 de « jeu » s’avère assez long dans un contexte d’habitude inexistant. En effet, s’agissant d’une grande première, le public n’a pas l’habitude de voir sa concentration face à une série amputée si souvent par des choix à faire qui rompent le rythme narratif. On suit pour l’expérience pas pour le scénario et son habituelle capacité à nous entraîner dans la fiction.

A côté de cela, Netflix a aussi su jouer la carte « out of the box » en appliquant des dispositifs transmédia et en étoffant le storytelling du dispositif par la création du site internet du studio de jeu vidéo indiqué dans l’épisode, le tout à la mode 1984.

Vrai-faux site officiel au nom de l’éditeur de jeux vidéo du film, Tuckersoft au coeur de l’intrigue de l’épisode.

Par ailleurs, autre élément de densification de l’univers narratif, la publication d’une offre d’emploi pour devenir game designer, le tout encore à la sauce 1984. Pourtant si l’on pousse cette dernière expérience, la concrétisation IRL peut s’opérer pour les plus motivés.

Offre d’emploi de game designer datant de 1984.

Au final, que retenir de cette grande première ? Qu’elle est nouvelle tout d’abord par le média utilisé. Jamais une série n’avait pu proposer un dispositif de ce type est les services de VOD sont parfaitement taillés pour proposer ce type d’interaction et l’effet est réel car les choix sont scénaristiquement présents et l’on se sent comme partie prenante dans ce système. Après, il faut considérer que la technique n’est pas nouvelle et les fameux « Livres dont vous êtes les héros » avait de longue date établi le schéma de ce type d’interaction via un média qui lui se doit de convoquer l’imaginaire et ne propose pas l’effet d’immédiateté apporté ici.

Dans le cas présent, il faut considérer cet épisode comme une expérience qui fera date. Elle a été brillamment réussie sur le plan technique, elle comporte quelques défauts et notamment celui de nécessiter la participation du public à de trop nombreuses reprises, ce qui dans les habitudes de consommation est un frein à l’immersion. On gagnerait sans doute à réduire le nombre de sollicitations pour proposer une variété plus fine dans les interactions scénaristiques.

Nul doute que les équipes de Netflix et leurs confrères travaillent d’arrache pied à une implémentation de ces scénarios performatifs pour pousser l’expérience toujours plus loin. A eux de garder à l’esprit de conserver tout de même l’essence de chaque production et ne pas transformer des Å“uvres scénaristiques en vulgaire jeux.

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