Regarder « Crac crac« , la nouvelle émission de Canal + Décalé est une expérience TV à elle seule et sans tergiverser autour de cet objet télévisuel, il est indéniable de constater que cette expérience est une excellente surprise, tant par le fond, la forme, l’incarnation, tout ceci autour d’un sujet à la fois intriguant mais également au combien difficile éditorialement manié avec maîtrise par Monsieur Poulpe.
Premier constat, l’émission, au cours de ses 40 minutes, ne tombe jamais dans le vulgaire, la facilité, le petit pouffement libérateur qui fait que les thématiques sexuelles ou toutes allusions du genre sont à mettre en haut du Top des fous rires et autres sorties de piste en télévision.
Ici au contraire, le discours est clair, les allusions sont fines sans être grossièrement appuyées et Monsieur Poulpe mène ses sujets avec une certaines rigueur qui sied parfaitement au thème. De l’aveux même de Poulpe en début d’émission, celle-ci sera teintée « d’élégance, d’exigence et d’infrastructure« . Force est de constater que oui !
Les séquences proposées tout au long de l’émission sont quant à elles sont toutes fortement référencées avec un contenu cohérent. On commence par « Marie fait le trottoir », micro-trottoir sexy autour du thème du jour (cet épisode ci : le fétichisme). Ce thème est d’ailleurs développé autour d’une « interview pieds » de Bérengère Krief, moment le plus éloigné de l’univers sexy dans lequel baigne l’émission.
La forme est résolument très classe en terme de décors, d’habillage et de scénographie quand le fond des séquences est quant à lui très classique (enveloppé dans une forme renouvelée). Après le micro trottoir, l’interview thématisée, place au courrier des lecteurs avec une chroniqueuse installée dans un fauteuil en osier, clin d’oeil sans ambiguïté au film culte « Emmanuelle« . « Le Message à caractère informatif » tout juste de retour sur les antennes de Canal + fait un double retour avec une version sexy spécialement pour l’émission.
Œdipe is your love
Là où l’émission apporte un vent de fraîcheur salutaire est, comme nous l’avons dit, dans la forme plus que le fond. Après un reportage in situ au coeur des fétichistes des pieds, place au « Book Club » sexy, chronique littéraire animée par… la mère de Monsieur Poulpe et ses copines. La gêne que le public doit ressentir n’est pas présente en plateau car chacun joue son rôle de manière professionnel faisant passer cet état de stupeur à l’arrière plan et donnant une seconde lecture savoureuse aux propos énoncés par chacun.
Enfin, la dernière séquence de l’émission est un feu d’artifice sobrement intitulé « Hollywood boulard« . Le principe, Monsieur Poulpe et un invité de circonstance (Guillaume Canet pour ce premier opus) sont les réalisateurs d’un vrai film pornographique et doivent dicter à l’oreillette les textes prononcés par les acteurs pendant que ceux-ci réalisent de vraies scènes de sexe. Entre humour, sidération, pornographie, ces quatre minutes sont à elles seules une performance télévisée incroyable dans le contexte sociétal de 2018.
Votre savoir est à l’image de mon pénis, c’est à dire que c’est vrai plaisir de le partager.
« Crac crac« , c’est donc cela, un condensé de séquences rondement menées, des textes ciselés (cf. citations mises en avant dans l’article), des allusions constantes sans être vulgaires, une scénographie très libre, soignée (beaucoup de plans à la steady cam, laissant une vraie liberté de mouvement à Monsieur Poulpe), des moments qui peuvent mettre le public mal à l’aise mais que l’animateur assume totalement pour un rendu global séduisant, atypique. Savoir être libre avec style c’est tout à fait possible et « Crac-crac » est un exemple parfait du genre.
Un dernier mot sur Monsieur Poulpe qui après avoir appris les bases du métier dans « Le Grand Journal » en compagnie d’Alison Wheeler et auprès d’Antoine de Caunes puis d’avoir oeuvré avec brio dans « Les recettes Pompettes » s’empare d’un nouveau sujet qualifié de casse gueule par beaucoup pour se l’approprier avec justesse et plaisir. Monsieur Poulpe prend plaisir à proposer ses formats après s’est construit auprès d’une culture web en effervescence permanente. Il apporte une fraîcheur, une envie, une forme de culot que les personnes usées aux métiers de la télévision ne sont plus en capacité de proposer. Le fond comme la forme sont recherchées, n’empruntent pas les chemins connus en narration télévisuelle et cela offre des effets de curiosité successifs que l’on ne peut que plébisciter dans le paysage médiatique actuel.
INTÉGRALITÉ DE « CRAC CRAC », ÉMISSION 1 AVEC BÉRANGÈRE KRIEF
CARROUSEL PHOTO